Newsletter CFPA – mars 2017
Actualité jurisprudentielle.
Les modalités de suspension de la signature du contrat – Conseil d’Etat, 14 février 2017, Commune d’Auriol, n° 403614.
Alors que le mois dernier nous évoquions les nouvelles modalités auxquelles le pouvoir adjudicateur doit dorénavant se soumettre pour couper court aux référés contractuels en MAPA, le Conseil d’Etat est venu préciser par une décision du 14 février 2017 les obligations de vérification, avant la signature du contrat, qui s’imposent à lui pour éviter l’introduction d’un référé contractuel.
Les faits d’espèce concernent une délégation de service public mais peuvent parfaitement s’appliquer à un marché public. Tant en ce qui concerne les contrats de concession, parmi lesquels les délégations de service public, que les marchés publics, dès lors qu’un requérant introduit un référé précontractuel, le pouvoir adjudicateur doit suspendre la signature du contrat dans l’attente du jugement.
Le pouvoir adjudicateur ou l’autorité délégante peut être informée de l’introduction d’un recours et donc, de l’obligation de suspendre la signature, selon trois modalités :
- une notification par le représentant de l’Etat,
- une notification par le requérant,
- une notification par le greffe du tribunal.
Le Conseil d’Etat précise qu’en ce qui concerne la notification par le requérant, dès lors que celle-ci s’opère par transmission en temps réel, c’est-à-dire par message électronique ou fax, la circonstance que la notification ait été faite en dehors des horaires d’ouverture du service est dépourvue d’incidence, « le délai de suspension courant à compter non de la prise de connaissance effective du recours par le pouvoir adjudicateur, mais de la réception de la notification qui lui a été faite ».
Il est assuré que :
- peu importe la personne qui procède à la notification, dès lors que celle-ci se fait par des moyens de transmission instantanée, le pouvoir adjudicateur sera regardé comme informé de l’introduction d’un référé précontractuel, il doit suspendre la procédure et s’abstenir de signer le contrat ;
- la notification du recours est regardée comme effective dès sa réception et non au moment de sa prise de connaissance par son destinataire.
En l’espèce, le conseil municipal de la commune d’Auriol avait approuvé l’attribution d’un contrat de délégation de service public relatif à la distribution d’eau potable. A 19H38, un des candidats évincés notifie l’introduction d’un référé précontractuel auprès du Tribunal administratif par courriel, à l’adresse mentionnée dans le règlement de la consultation. Le soir même, la collectivité procède à la signature du contrat.
Alors même que le règlement de la consultation indiquait que les services étaient fermés à compter de 16H30, il revenait à la personne publique de s’assurer qu’aucun recours n’avait été introduit à l’encontre de la procédure de passation.
Dès lors, le référé contractuel du requérant était recevable.
Aux termes de l’article L. 551-20 du code de justice administrative, en dehors des cas dans lesquels l’annulation du contrat est automatique, lorsque le contrat a été signé en méconnaissance de l’obligation de suspension de la procédure, le juge peut choisir entre plusieurs sanctions, en fonction de la gravité des manquements constatés :
- prononcer la nullité du contrat,
- résilier le contrat,
- réduire sa durée,
- imposer une pénalité.
En l’espèce, la nature du manquement n’a pas affecté la procédure de mise en concurrence. Mais compte tenu du comportement de la commune qui a signé le contrat de manière précipitée, le Conseil d’Etat lui inflige une pénalité de 20 000 euros.
Les modalités de recours en excès de pouvoir par un tiers contre un contrat administratif – Conseil d’Etat, 23 décembre 2016, Association études et consommation CFDT Languedoc Roussillon, n° 392815 et Conseil d’Etat, 4 avril 2014, Tarn et Garonne, n° 358994.
À la lecture de la jurisprudence Tarn et Garonne le recours introduit par un tiers à l’encontre d’un contrat administratif semblait s’opérer principalement, voire exclusivement, par le biais du recours en contestation de validité du contrat, sauf dans le cas des clauses réglementaires. La décision du 23 décembre 2016 est venue nuancer cette interprétation.
Pour rappel, la décision Tarn et Garonne jugeait que les tiers justifiant d’un intérêt lésé par un contrat administratif devait contester le choix du cocontractant, l’autorisation de conclure le contrat et la décision de le signer par le biais du recours en contestation de validité du contrat devant le juge du contrat et non plus de manière détournée devant le juge de l’excès de pouvoir. Dans le cas contraire, leur recours était irrecevable.
À l’époque, pour le rapporteur public, Bertrand Dacosta, l’objectif poursuivi par la décision Tarn et Garonne était « de déplacer l’intégralité du débat contentieux devant le juge du contrat, quel que soit le tiers concerné, de telle sorte qu’aucune autre voie contentieuse ne puisse prospérer une fois le contrat signé ». Pour autant, la décision Tarn et Garonne laissait entière la question des recours par les tiers à l’encontre des actes d’exécution du contrat en dehors des actes réglementaires.
Au cas présent, le recours portait sur l’acte d’approbation du contrat de partenariat relatif au financement, à la construction et à la maintenance du futur Pôle d’échange multimodal Montpellier Sud de France. L’acte d’approbation est celui par lequel une autorité indépendante du pouvoir adjudicateur approuve les contrats passés, comme c’est le cas pour les concessions d’autoroute ou encore les concessions d’énergie hydraulique.
Dans ses conclusions sur la décision du 23 décembre 2016, le rapporteur public soulignait que « Le sujet des actes d’approbation avait pourtant été clairement identifié par le rapporteur public dans ses conclusions [sur la décision Tarn et Garonne] que nous citons : « Nous ne voyons pas d’inconvénient à ce qu’ils puissent continuer de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir, dans la mesure où seraient contestés leurs vices propres : l’annulation n’aurait pour effet que de paralyser provisoirement les effets du contrat. En revanche, la logique devrait conduire à déporter ce contentieux vers le contrat lui-même dès lors que seraient en cause son contenu et/ou les conditions de son adoption. »
En d’autres termes, dès 2014, le Conseil d’Etat semblait vouloir laisser ouverte le recours en excès de pouvoir aux tiers à l’encontre des actes d’approbation dès lors que les moyens soulevés concernaient les seuls vices propres à l’acte. Dans le cas contraire, seul le recours en contestation de validité du contrat serait ouvert.
La présente décision est venue entériner la position adoptée à l’époque par le rapporteur public.
En d’autres termes, la lecture croisée des deux décisions permet de conclure que :
- les actes de formation du contrat sont attaquables, par toute personne ayant un intérêt lésé, par le biais du recours en contestation de validité du contrat ;
- les actes réglementaires du contrat sont attaquables, par les tiers, devant le juge de l’excès de pouvoir ;
- les actes d’exécution du contrat sont attaquables par les tiers qui se prévalent d’intérêts auxquels l’exécution du contrat est de nature à porter une atteinte directe et certaine, devant le juge de l’excès de pouvoir pour en invoquer uniquement les moyens tirés des vices propres de l’acte. Il faut entendre par vices propres, les moyens tirés de l’incompétence, du vice de forme, du vice de procédure et du détournement de pouvoir ;
- les actes d’exécution du contrat sont attaquables, par les tiers ayant un intérêt lésé, par le biais du recours en contestation de validité du contrat pour les moyens tirés des vices affectant le contenu du contrat ou l’irrégularité des conditions de son adoption. Il faut entendre par les vices relatifs au contenu même du contrat, les moyens relatifs à la violation de la loi ou tout autre motif portant sur le contenu même du contrat.
Pour autant, dans les circonstances de l’espèce, le Conseil d’Etat écarte le recours des deux associations requérantes au motif qu’elles ne présentent pas d’intérêt pour agir. L’objet social de ces associations consistaient à :
- produire et communiquer de l’information, ainsi que de promouvoir et mener des actions de tous ordres en vue de la reconquête, par les citoyens, du pouvoir que la sphère financière exerce sur tous les aspects de la vie politique, économique, sociale et culturelle dans l’ensemble du monde ;
- assurer la défense des intérêts des consommateurs et à cette fin d’aider les organisations CFDT de la région Languedoc-Roussillon à mieux préciser les liens entre production et consommation et à intégrer la dimension consommation dans leurs politiques et pratiques syndicales », ainsi que « de représenter ses adhérents dans les instances ayant à connaître des problèmes entrant dans le cadre de son objet » ;
D’une part, l’objet social de la première association était trop généraliste pour justifier d’un intérêt à agir, sauf à le dénaturer. D’autre part, en ce qui concerne la seconde association requérante, l’exécution du contrat de partenariat ne pouvait être regardé comme de nature à porte une atteinte directe aux intérêts qu’elle défend.