Newsletter CFPA – mars 2018
Actualité législative
Publication du vade-mecum de l’achat public de livres à l’usage des bibliothèques par le Ministère de la Culture et de la Communication.
Le 9° du I de l’article 30 du décret du 25 mars 2016 a ouvert à certains acheteurs la possibilité d’acheter des ouvrages non scolaires dans le cadre d’une procédure négociée sans publicité ni mise en concurrence jusqu’à concurrence d’un montant de 90.000 euros HT. Cette disposition poursuit, dans la même logique que la loi du 10 août 1981 sur le prix du livre, un double objectif :
- prévenir un phénomène de concentration jusque-là observé dans les achats publics de livres par les bibliothèques publiques, rendu possible par le régime du prix unique du livre, ce qui contrariait évidemment l’objectif poursuivi par le régime des marchés publics ;
- protéger le réseau national de libraires et plus largement, le régime du financement du secteur de l’édition, qui était directement menacé par cette concentration.
Dans la mise en œuvre de ces marchés particuliers, le prix réglementé et les services de livraison ne permettent pas de comparer les offres de manière pertinente dans le cadre d’une mise en concurrence, empêchant l’identification de l’offre économiquement la plus avantageuse au regard de la valeur intrinsèque de l’objet du marché.
Le vade-mecum qui vient d’être publié a pour objectif d’accompagner les acteurs du secteur dans leurs achats et à cet effet, liste les bonnes pratiques à respecter pour permettre un achat équilibré entre les acteurs. Il rappelle les principes et les procédures applicables à l’achat public en l’adaptant au secteur du libre et tend à encourager les acheteurs qui hésiteraient encore à mettre en œuvre cette mesure, d’intérêt général.
Actualité jurisprudentielle
Marché provisoire conclu sans mise en concurrence – Conditions de régularité – Conseil d’État, 5 février 2018, Ville de Paris et SOMUPI, n° 416579
L’un des épisodes de l’affaire des contrats d’exploitation de mobilier urbain numérique de la ville de Paris a donné lieu à une décision du Conseil d’État dans laquelle le juge précise les conditions dans lesquelles les acheteurs peuvent, sans mise en concurrence, conclure un marché ou une concession à caractère provisoire en attendant la fin d’une procédure de mise en concurrence.
Une personne publique peut, lorsque l’exige un motif d’intérêt général tenant à la continuité du service public, s’exonérer, à titre provisoire et selon certaines modalités, des règles de publicité et de mise en concurrence pour la conclusion d’un contrat de commande publique, en cas d’urgence résultant de l’impossibilité dans laquelle elle se trouve, indépendamment de sa volonté, de continuer à faire assurer le service par son cocontractant ou de l’assurer elle-même.
Dans les circonstances de l’espèce, les conditions ne sont pas réunies. Le juge constate l’absence d’urgence, le service public d’information des parisiens pouvant être assuré par de nombreux autres moyens et ne pouvait être regardé comme menacé par l’interruption des contrats d’exploitation de mobiliers urbains en cause.
Responsabilité décennale et assistant à maitre d’ouvrage – Qualité de constructeur (Conseil d’État, 9 mars 2018, Commune de Rennes-les-Bains, n° 406205).
Une collectivité locale, entourée d’un assistant à maitre d’ouvrage et d’un maitre d’œuvre a conclu un marché de travaux afin de construire un établissement thermal.
Or, peu de temps après l’ouverture de l’établissement, la collectivité a dû ordonner sa fermeture après que la direction départementale des affaires sociales et sanitaires est constatée la présence de bactéries.
Fort de cette fermeture, la commune a engagé la responsabilité de l’ensemble des acteurs afin d’être indemnisée de son préjudice. Après avoir rappelé que l’action en garantie décennale n’est ouverte au maître de l’ouvrage qu’à l’égard des constructeurs avec lesquels il a été lié par un contrat de louage d’ouvrage, le Conseil d’État a jugé que le contrat conclu entre la commune et l’assistant à maitre d’ouvrage revêtait le caractère d’un contrat de louage d’ouvrage et la qualité de constructeur devait lui être reconnue.
En effet, le contrat d’assistant à maître d’ouvrage prévoyait que ce dernier était l’interlocuteur direct des différents participants, il devait proposer les mesures à prendre et assister le maître d’ouvrage de sa compétence technique, administrative et financière pour s’assurer de la bonne réalisation de l’opération, à ce titre il était doté d’une mission de direction de l’exécution des travaux et d’assistance aux opérations de réception.
Tant que la garantie décennale des constructeurs couvre les désordres de nature à compromettre la solidité de l’ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination, le fait que l’assistant à maitre d’ouvrage n’ait pas alerté la commune sur l’insuffisance du diagnostic préalable et n’ait pas pris en compte la spécificité de l’eau minérale de la source utilisée, il engage sa responsabilité décennale au même titre que les entreprises et le maitre d’œuvre.
Opération préalable de réception et réserves. Forme du procès-verbal de réception – Cour administrative d’appel de Nancy, 17 octobre 2017, Communauté de communes du pays des Abbayes, n° 16NC01040
La Cour administrative d’appel de Nancy est venue rappeler la forme que doit adopter un procès-verbal de réception d’un marché lorsque des réserves sont émises, et la rigueur devant présider à son établissement.
Lors de la réception d’un marché de travaux pour la création d’un point d’accueil, des malfaçons sont constatées lors des opérations préalables à la réception. Après reprise des malfaçons par le titulaire du marché, l’acheteur dresse un procès-verbal de réception composé de trois parties :
- le procès-verbal des opérations préalables de réception spécifiant les réserves ;
- la proposition du maître d’œuvre de réceptionner sans réserve ;
- la décision du maître d’ouvrage, qui consistait en une réception sans réserve.
Pour le juge administratif, la forme du procès-verbal de réception empêche toute contestation ultérieure en tant que la réception sans réserve des travaux était explicite. La seule mention d’une réserve dans la première partie du procès-verbal relatif aux opérations préalables de réception ne suffit pas à établir que le maître de l’ouvrage entendait ne prononcer la réception qu’avec réserve.
La décision de réception a mis fin aux relations contractuelles entre les parties, empêchant par conséquent le maître d’ouvrage d’engager la responsabilité contractuelle de la société du fait des malfaçons constatées lors des opérations préalables de réception.
Manquement du maitre d’œuvre à son devoir de conseil – Portée – Cour administrative d’appel de Nancy, 28 décembre 2017, Communauté de communes des Hauts du Doubs, n° 16NC02822 et Cour administrative d’appel de Nancy, 30 janvier 2018, Commune de Saint-Dié-des-Vosges, n° 16NC02728
La Cour rappelle que la responsabilité des maîtres d’œuvre pour manquement à leur devoir de conseil peut être engagée, dès lors qu’ils se sont abstenus d’appeler l’attention du maître d’ouvrage sur des désordres affectant l’ouvrage et dont ils pouvaient avoir connaissance, ne permettant pas à la personne publique d’être mise à même de réceptionner l’ouvrage ou d’assortir la réception des réserves nécessaires. La circonstance que le vice soit apparent est sans conséquence, dès lors que le maître d’œuvre en avait eu connaissance en cours de chantier.
Des désordres étaient apparus après la réception sans réserve d’une unité de traitement des eaux usées. Des modifications de l’ouvrage dans le cadre de l’exécution des travaux en étaient la cause. Le maître d’œuvre n’avait émis aucune réserve quant à la modification de la conception de l’ouvrage et n’a pas appelé l’attention de l’acheteur quant aux difficultés qui pouvaient en résulter. Il a proposé de réceptionner l’ouvrage sans réserve. En conséquence, le maître d’œuvre a commis une faute de nature à engager sa responsabilité.
Cependant, le juge administratif était venu dans le passé mesurer le devoir de conseil du maître d’œuvre (cour administrative d’appel de Marseille, 3 octobre 2016, SMABTP, n° 14MA05228)
Lors de la construction d’un pôle pluridisciplinaire d’un centre hospitalier, la réception de l’ouvrage avait été prononcée sans réserve alors même que, pendant l’exécution même, le bâtiment avait connu des fissures sur les voiles de béton.
Au cas présent, les désordres étaient apparus avant la réception des travaux et avaient été mentionnés à plusieurs reprises dans les comptes rendus de réunions de chantier. Ils avaient fait l’objet de déclarations de sinistres auprès de l’assureur du centre hospitalier.
Ne pouvant, ainsi, ignorer les désordres, il revenait au maitre d’ouvrage de signer les procès-verbaux de réception en les assortissant de réserve. Dans ces conditions, cette signature sans réserve représente une faute du maître d’ouvrage qui est « de nature à exonérer totalement le maître d’œuvre de sa responsabilité ».
De la même manière, le juge administratif a récemment rappelé que l’imprudence d’un maître d’ouvrage lors de la réception des travaux engage sa seule responsabilité, exonérant ainsi celle du maitre d’œuvre (Cour administrative d’appel de Nancy, 30 janvier 2018, Commune de Saint-Dié-des-Vosges, n° 16NC02728). La responsabilité du maître d’œuvre sera également écartée si les manquements à son devoir de conseil ne sont pas à l’origine des dommages dont se plaint le maitre d’ouvrage.
Dans cette affaire, les désordres reprochés au maître d’œuvre étaient dus :
- à la mise en œuvre défaillante de la rampe d’accès de déchargement ne permettant pas son utilisation par l’ensemble des véhicules,
- au positionnement des places situées devant la régie technique, gênant la visibilité du régisseur.
Dès lors que ces désordres étaient connus de la commune, elle fait preuve d’une imprudence particulièrement grave en prononçant néanmoins la réception de l’ouvrage sans réserve et engage à ce titre sa responsabilité.