Actualité jurisprudentielle
Notion de marché public et recours à la notion d’urgence pour justifier la procédure de passation du contrat (Conseil d’Etat, 24 mai 2017, Société Régal des Iles, n° 407213).
La commune de Saint-Benoit et la société Dupont Restauration Réunion ont conclu une convention pour la gestion provisoire du service public de restauration municipale. La commune a qualifié la convention de délégation de service public et s’est dispensée de procéder à une quelconque forme de publicité.
Or, pour le Conseil d’Etat et en dépit des stipulations de la convention qui indiquent que :
- la gestion du service est assurée par le concessionnaire à ses risques et périls
- le titulaire du contrat reçoit des usagers un prix en contrepartie de sa prestation,
L’article 37 de la convention relative à la rémunération du concessionnaire prévoit qu’en plus du prix versé par les usagers, la commune verse au concessionnaire une subvention forfaitaire.
La subvention forfaitaire couvre 86 % de la rémunération du cocontractant, le risque économique supporté par ce dernier ne porte que sur la différence entre les repas commandés et les repas servis. Or, compte tenu de la durée du contrat, limitée à 14 mois et le nombre d’usagers peu susceptible de connaitre des variations, le risque supporté par le concessionnaire n’implique pas une exposition de ce dernier aux aléas du marché. La convention conclue n’est donc pas une délégation de service public, c’est à dire une concession, mais un marché public.
Dès lors, la collectivité, pour la passation de ce contrat, était soumise aux dispositions relatives aux marchés publics. La collectivité tente de se prévaloir qu’elle pouvait, en tout état de cause, conclure ladite convention à la suite d’une procédure négociée sans publicité ni mise en concurrence préalable eu égard à l’urgence à laquelle elle était soumise.
Si l’article 30 du décret du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics autorise le recours aux procédures négociées sans publicité ni mise en concurrence préalable en cas d’urgence impérieuse, au cas présent les conditions n’étaient pas remplies.
Alors que la procédure en cause faisait suite à l’annulation par le tribunal administratif de la précédente convention, il revenait à la commune de prendre les dispositions nécessaires pour procéder à une nouvelle procédure de passation. En effet, au cas présent, la commune n’était pas placée dans une situation d’urgence impérieuse résultant de circonstances imprévisibles et extérieures telles que prévues par l’article 30 du décret du 25 mars 2016 précité.
En définitive, le juge annule la convention en cause au motif qu’elle n’avait pas été précédée d’une procédure de mise en concurrence. Toutefois, compte tenu de la nécessité de préserver la continuité du service de restauration scolaire durant la procédure de mise en concurrence, l’annulation est prononcée avec un effet différé et n’entre en vigueur qu’à l’expiration d’un délai de 4 mois.
Le contrôle opéré par le juge administratif sur la méthode de notation mise en place par les acheteurs (Conseil d’Etat, 24 mai 2017, Société Techno Logistique, n° 405787).
Le pouvoir adjudicateur définit librement la méthode de notation pour choisir l’offre économiquement la plus avantageuse. Toutefois, le juge vérifie qu’elle respecte les principes fondamentaux de la commande publique et, qu’elle n’est pas de nature à priver de leur portée les critères d’attribution ou à en neutraliser la pondération. La méthode de notation doit conduire à choisir l’offre économiquement la plus avantageuse comme le requiert les textes.
Au cas présent, l’atelier industriel de l’aéronautique de Clermont-Ferrand a engagé, en application du régime des marchés de défense ou de sécurité, une procédure d’appel d’offres retreint en vue de l’attribution d’un marché de prestations de bourrellerie aéronautique. Les critères de sélection étaient : le prix pondéré à 60 %, la valeur technique pondérée à 30 % et la politique sociale pondérée à 10 %.
La méthode de notation du critère prix conduisait à attribuer la note de 20 à l’offre la mieux disante et 0 à l’offre la plus onéreuse. Cette méthode de notation a neutralisé, eu égard à la pondération du critère prix, les autres critères en éliminant automatiquement l’offre la plus onéreuse quel que soit l’écart de son prix avec les autres offres.
En l’occurrence, si le pouvoir adjudicateur a commis un manquement, celui-ci n’encourt aucune sanction au motif de l’absence d’intérêt lésé.
A l’opposé, le Conseil d’Etat avait validé, dans une décision de novembre 2016, une méthode de notation définie par le tirage au sort de commandes fictives (Conseil d’Etat, 16 novembre 2016, Société Travaux Electriques du Midi, n° 401660).
Au cas d’espèce, la ville de Marseille avait lancé une procédure d’appel d’offres pour l’attribution de marchés de travaux, pour certains postes, l’évaluation du critère prix s’établissait par le choix au hasard d’une commande fictive.
Pour le Conseil d’Etat, d’une part, cette méthode de notation n’a ni posé de nouveaux critères ni empêché de choisir l’offre économiquement la plus avantageuse mais reflétait l’exercice de la liberté de définition dont dispose le pouvoir adjudicateur en la matière. D’autre part, la simulation respectait les trois conditions à sa légalité :
- la simulation correspond à l’objet du marché ;
- le choix du contenu de la simulation n’a pas eu pour effet d’en privilégier un aspect particulier, de telle sorte que le critère prix s’en trouvait dénaturé ;
- le montant des offres proposées par chaque candidat était reconstitué en recourant à la même simulation.
Les tiers sont recevables à former un recours de pleine juridiction pour demander au juge de mettre fin à l’exécution d’un contrat (Conseil d’Etat, 30 juin 2017, Syndicat mixte de promotion de l’activité transmanche, n° 398445)
Par une décision en date du 30 juin 2017, le Conseil d’Etat a ouvert une nouvelle voie de recours aux tiers : le recours de pleine juridiction contre l’exécution du contrat en cours.
Pour mémoire, la décision du 14 avril 2014, Département du Tarn et Garonne, avait ouvert aux tiers la possibilité de contester directement la validité du contrat ou certaines de ses clauses, fermant pour la plupart des actes le recours en excès de pouvoir.
Le recours en excès de pouvoir est dorénavant ouvert uniquement pour les actes portant approbation du contrat et certains actes préparatoires à la passation du contrat tels que la délibération approuvant le principe du recours à une délégation de service public.
Si le second cas d’ouverture du recours en excès de pouvoir n’a pas encore fait l’objet de précisions, par deux décisions, le Conseil d’Etat est venu expliciter les moyens pouvant être soulevés contre les actes d’approbation : les seuls vices propres à l’acte et non les moyens relatifs au contrat (Conseil d’Etat, 23 décembre 2016, Association études et consommation CFDT du Languedoc-Roussillon, n° 392815 ; Cour administrative d’appel de Douai, 18 mai 2017, CC de la Côte d’Albâtre, n° 16DA0141).
Dans la décision du 30 juin 2017, le Conseil d’Etat a considéré « qu’un tiers à un contrat administratif, susceptible d’être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par un une décision refusant de faire droit à sa demande de mettre fin à l’exécution du contrat, est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction tendant à ce qu’il soit mis fin à l’exécution du contrat ».
Plus explicitement, :
- Le recours est ouvert aux tiers susceptibles d’être lésés dans ses intérêts de façon suffisamment directe et, aux membres des organes délibérants et représentants de l’Etat pour les contrats conclus par les collectivités territoriales ou leur groupement ;
- Les moyens invocables sont limités aux seuls moyens suivants : une disposition législative impose à la personne publique de mettre fin au contrat, le contrat est entaché d’irrégularité de nature à faire obstacle à sa poursuite et enfin, la poursuite de l’exécution du contrat est manifestement contraire à l’intérêt général. Aucune condition de forme ne pourra être soulevée à l’appui du recours. Les moyens devront, en outre, être en rapport direct avec l’intérêt lésé dont se prévaut le tiers hormis pour les membres des organes collégiales et les représentants de l’Etat ;
- Le juge saisi de conclusions tendant à ce qu’il soit mis fin à l’exécution d’un contrat administratif, pourra ordonner qu’il soit mis fin à l’exécution du contrat, le cas échéant avec effet différé, en vérifiant que sa décision ne porte pas une atteinte excessive à l’intérêt général.
Au cas présent, deux sociétés ont demandé au syndicat mixte de promotion de l’activité transmanche de résilier la convention de délégation de service public portant sur l’exploitation d’une liaison maritime entre Dieppe et Newhaven conclu avec une autre société. Cette demande a fait l’objet d’un refus par le syndicat. Les deux sociétés ont alors demandé au tribunal administratif d’annuler ladite décision.
Comme à son habitude, le revirement de jurisprudence ne s’est fait pas à la faveur des requérants. Par l’application des conditions de recours, le Conseil d’Etat a considéré que la qualité des sociétés ne suffisait pas à justifier que leurs intérêts aient été lésés de façon suffisamment direct. En outre, les moyens soulevés ne pouvaient être invoqués dans le cadre de ce recours et étaient, dès lors, inopérants.